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7.11.23

Écouter sa chanson *


Vous arrive-t-il de vous réveiller avec dans la tête une chanson oubliée ? Des notes perdues, posées sur les premiers instants de conscience ?

Au contraire des rêves de fin de nuit ne cherchant, eux, qu’à s’évaporer, ce qui a habillé notre réveil, persiste. Cette mélodie, ces paroles n'ont pas été écoutées récemment, alors d’où viennent-elles ? Une chose est sûre dans l’incertain : elles ne sont pas issues d’un rêve, mais de quelque chose de plus réel. Quoi ? Pourquoi ? Comment ? Mystère du point de bascule entre la conscience du monde extérieur à son minimum, et l’éveil. 

Toute la matinée on chantonne l’air tel qu’il est venu nous visiter, juste un bout de refrain, un couplet, quelques mesures et des mots « en chewing-gum » quand ils nous échappent. On tente alors d’en retrouver les paroles, de compléter la mélodie, se la remémorer en entier. Certains, au fil des heures, des activités, vont laisser tomber, oublier à nouveau. D’autres vont écouter la chanson, une fois, plusieurs fois, en boucle parfois. Et puis ?


Il est intéressant de se demander pour quelle raison ce souvenir musical est arrivé là, ce jour, à cet instant. Et s’il avait quelque chose à nous dire ? Je me suis réveillée un matin avec une chanson de Brandi Carlile. Je l’adore, l’ai dans ma playlist, mais ne l’avais pas écoutée depuis plusieurs mois. Son titre lui-même m’échappe. Je cherche « Silent days », la chanson en réalité s’intitule « Right on Time ». Dans ce qui me fait doublement de l’œil (la chanson s’est imposée, le titre s’est fait remarquer) pourrait se trouver une réponse.

Juste à temps, au bon moment. « It wasn’t right, but it was right on time ». Il y a une dualité intéressante dans le double emploi de right. « It wasn’t right » peut se traduire à la fois par ce n’était pas bien, pas juste, ou pas correct ; « but it was right on time » peut signifier : mais c’était juste à l’heure, dans les temps.

 

J’ai envie d’y voir l’idée que chaque chose, chaque acte, même erroné ou raté, a son utilité, qu’il vient à point nommé pour une raison, sera primordial à un autre moment, pour une autre action. Nos actes manqués ont autant d’importance que les réussites. Dans mes vœux de début d’année, se trouvait ce souhait « d’accepter ce qui ne va pas, de s’appuyer sur ses faux-pas pour avancer avec plus de stabilité ».

Il peut paraitre simpliste de tirer leçon d’une chanson, de l’interpréter (à plus forte raison de la traduire), comme lorsque l’on est amoureux ou au contraire très triste, toutes les paroles semblent raconter notre histoire personnelle. C’est plus subtil. Porter attention à un fait curieux, arrivé à un moment étrange, fait partie de l’intuition, tout comme décrypter les signes autour de soi.

Pas question, bien entendu, de tout prendre au pied de la lettre. Ce n’est pas pour avoir entendu « Suicide blonde » (INXS) que je me décolore ou intente à mes jours. Subtilité et réflexion. Par exemple, le refrain de « Street Spirit », une chanson assez sombre (sublime, aussi) de l’album encore plus dark « The Bends », de Radiohead, me poursuit. « And fade out, again » (et s’éteindre à nouveau) n’est pas un programme très tentant. Genius.com me déroule les paroles - peu joyeuses, sinon à la fin : « immerse your soul in love ». Je laisse reposer et peut-être plus tard une idée en sortira. Ou bien, tout simplement, est-ce venu pour servir ici d’exemple.


Vous est-il arrivé de la même façon de voir en vente, juste devant vous sur un présentoir, un objet ou un livre vous faisant penser à quelque chose, de trouver ça assez curieux pour l’acheter, le lire, l’offrir ? C’est ça. L’idée parait abstraite ? L’intuition, très liée à la créativité, demande sinon une certaine ouverture d’esprit, de l’entrainement pour bien fonctionner. À ce sujet, je vous recommande « Mange, prie, aime » et « Comme par magie » deux livres d’Elizabeth Gilbert. Le premier, un best-seller, raconte son expérience de changement de vie (malaise, intuition, exécution, errements, avancées) sous forme de roman, le second parle de créativité de façon très pratique. Dans ces deux textes, à la fois l’intuition et l’attention qu’on lui porte, sont primordiales. Cette attention demande une conscience active au présent, une perméabilité à la fois à l’environnement et aux idées. Avez-vous déjà essayé ?

 

L’intuition est sœur de l’imagination, de l’inspiration. Comment l’idée de peindre la neige d’ombres bleutées est-elle venue à Claude Monet ? Comment la mélodie de « Yesterday » est-elle arrivée une nuit à Paul McCartney, 22 ans ? Comment Alexandre Dumas a-t-il imaginé toutes les aventures du « Comte de Monte Cristo » (1264 pages), Hervé Le Tellier élaboré le point-clé de l’« Anomalie », comment J.K. Rowling  - au plus mal, pas encore écrivaine - a-t-elle accueilli lors d’un trajet en train la visite d’un futur sorcier ? Chaque œuvre, chaque invention tient du travail, de la patience, de l’écoute et de l’expérience. Lors d’un atelier d’écriture de la NRF, l’auteure Laurence Tardieu nous a raconté avoir « vu » l’image d’une femme dans un lieu et une action, concrets, précis. Une image insistante devenue point de départ de l’un de ses romans. Ce thème me tient à cœur : il y a longtemps j’ai eu en tête comme un tout petit film, ni rêve ni réalité, ni souhait, ni envie. Ne le comprenant pas, je l’ai oublié. Il m’est revenu en mémoire de temps en temps durant plusieurs décennies jusqu’à ce que je trouve ça assez bizarre pour l’écrire. 2 pages bientôt devenues un livre entier. Je n’étais pas assez attentive, sans doute pas prête. 



+ Pour aller plus loin, l’intuition étant un domaine aussi méconnu que passionnant, je vous recommande le podcast Métamorphose #197 « Vivre avec ses intuitions », dans lequel Anne Ghesquières reçoit Laurent Gounelle. L’écrivain raconte avoir suivi une formation avancée assez bluffante sur l’intuition, mise en scène dans son roman policier « Intuitio ».

++ Livres photographiés : Paul McCartney, Paroles & souvenirs de 1956 à aujourd’hui, éditions Buchet Chastel.

 

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* Sujet publié numéro 800 !