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14.10.23

J’ai peur, donc je suis.

  

Pour un texte en cours d’écriture, j’ai effectué des recherches sur la relation des adultes aux peurs. Plus précisément aux « petites » peurs irrationnelles. Celles que l’on a eu, enfant, et que des années plus tard on regarde avec recul, avec amusement, ou au contraire avec au creux du ventre encore une pointe d’angoisse, le souvenir toujours présent non pas de la peur elle-même, mais de ce qu’elle provoquait en nous. Petite fille, ayant lu qu'en des temps très anciens on croisait des loups dans Paris, je m’étais persuadée que l’un de ces animaux dormait la nuit sous les quelques centimètres d’un meuble en face de ma chambre. Il m’en reste le souvenir d’une obligation de ne pas bouger, la sensation physique d’être crispée sous les draps et respirer à peine, de crainte de réveiller l’animal.

 

Les petites peurs un peu ridicules et irrationnelles persistent à l’âge adulte. Les plus insolites, les moins graves m’intéressent en particulier. Je pense à quelque chose de plus léger que les vraies phobies dont le sens étymologique induit une dimension d’angoisse. Nous avons tous des aversions un peu bizarres, limite - inavouables. La majorité largement dépassée j’ai développé une répulsion pour les papillons de nuit que mon père, lui, attrapait pour les évacuer (me les présentant au passage). L'une de mes filles est terrifiée par les sous-marins - chez nous uniquement présents en version musicale jaune, sa sœur par les coccinelles (prenant pourtant dans ses mains les insectes « gendarmes »). Dans notre famille, une personne craint les pigeons et notre grand chien a une frousse bleue des sacs en papier, des sacs en plastique, ce qui ne l’empêche pas de garder la maison. Et alors ? Y aurait-il plus infime et plus ridicule ? Si ces peurs sont minimes, si notre psychologie n'est pas en danger ni ne met les autres en danger, peut-on en rire, les assumer et accepter que ce ne soit pas grave de les exposer ?

 

Ça me rappelle un épisode de Friends, (ma série préférée, bien plus profonde qu’il n’y parait) dans lequel les employés du musée, afin de se rapprocher les uns des autres malgré leurs différents niveaux d’emploi dans l’établissement, se présentent avec leurs bizarreries. L’un d’eux admet vérifier de façon compulsive et répétée que tout est bien éteint chez lui, craignant que sans le faire, sa famille ne meure. Dans un autre épisode, en pleine « date », un garçon se trouve obligé d’avouer sa trouille incontrôlable des animaux de la ferme. Force est de constater que ça fonctionne : les autres protagonistes et les spectateurs se moquent un peu, bien sûr, en même temps le personnage prend une dimension plus attachante, gagne en humanité, devient plus abordable.

En littérature, on pense bien sûr au Malade imaginaire de Molière, au rejet des insectes dans la Métamorphose de Kafka, pour le reste il est plus difficile de trouver des références, peut-être les thèmes peur + ridicule + légèreté ne sont-ils pas assez sérieux, assez forts ?  Ma fille ainée pense que cette absence sous-entend que l’adulte a dépassé ce type de frayeurs, en tous cas, que cela est induit dans la littérature. De ce fait, j’y vois aussi une dimension sociétale, où l’évolution permet aux humains de dire et d’assumer leurs angoisses, même les plus ridicules, car qui, au Moyen-Âge ou au dix-neuvième siècle aurait déclaré sans ambages sa phobie des papillons ? De la même façon, il y a à notre époque une autorisation (voire, une incitation) à s’auto-analyser, à se « regarder le nombril » avec une attention permettant de se découvrir la peur panique d’une couleur, de la pluie ou des formes humaines robotisées.

Les éditions jeunesse, elles, fourmillent (attention, myrmécophobie) de livres drôles et décomplexants où les adultes ont des peurs irraisonnées (« La maitresse a peur du noir ») et, à l’inverse, les enfants une passion pour des choses inhabituelles (« Rendez-moi mes poux »), pour amis des êtres étranges (Dorothée avec l’épouvantail et le bûcheron en fer-blanc), ne se montrent pas effrayés alors que leurs parents le sont (« Le Fantôme de Canterville »).

 

Sur ce thème, une page Wikipedia est consacrée aux phobies. J'ai été très amusée de découvrir certaines peurs et surtout, que quelqu'un ait pris le temps de leur donner un nom. Voyez plutôt quelques pépites : antophobie (peur des fleurs), arachibutyrophobie (peur d'avoir du beurre de cacahuètes collé au palais), butyrophobie (peur du beurre), carpophobie (peur des fruits), nanopabulophobie (peur des nains de jardin à brouette)et ma préférée la bananaphobie, vous avez deviné : la peur des bananes. Au cours de cette lecture, je me suis découverte atteinte de coulrophobie (peur des clowns) et d’une abibliophobie (peur de manquer de livres) ô combien agréable à assouvir. 

 

Il me semble que ces peurs sont en quelque sorte une partie de notre carte d’identité, que loin d’être risibles, en fin de compte elles apportent quelque chose, ce petit plus sortant du cadre qui fait de nos différences, des forces. Dans une fiction, ces singularités ajoutent du relief à un personnage, lui donnent une particularité, la touche d’humanité qui caractérise un être vivant, un être humain.



* Ouvrages cités :

Le Malade imaginaire, de Molière, Biblio collège, Hachette

La Métamorphose de Franz Kafka, Gallimard et Folio classique

La maitresse a peur du noir de Benjamin Chaud et Sylvie Mathuissieulx, Milan poche

Rendez-moi mes poux de Pef, Folio Cadet

Le Magicien d’Oz de Franck L. Baum, texte intégral, Librio

Le Fantôme de Canterville d’Oscar Wilde, Biblio collège, Hachette


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